Dans cette édition de février, nous vous invitons à quitter brièvement le Valais pour découvrir un autre journal de gauche romand. Ce mois-ci, l’honneur revient à Voix Populaire et à son président, Jordan Willemin. Entretien.
Voix populaire est l’héritier de Voix ouvrière, un journal fondé en 1944 qui a vécu au rythme de la criminalisation du socialisme. Quel regard portez-vous sur ces 80 ans ?
Du haut de mes 30 ans, je n’ai vécu qu’une petite partie de l’histoire de Voix Populaire. Au cours de son histoire, le contexte a beaucoup changé même si certaines problématiques persistent comme par exemple celles des finances. Voix Populaire a joué un rôle important dans la bataille des idées en Suisse. Même si nous avons toujours eu un public plutôt de niche, nous n’avons pas eu des tirages comparables aux gros journaux, nous avons pu former nos militant·es et leur donner des clés d’analyse de l’actualité par un regard progressiste et marxiste. Et ainsi, par eux, mener une bataille politique pour obtenir des victoires sociales au profit des travailleur·euses. Voix Populaire a rencontré de nombreux défis dans son histoire. Nous avons dû exister dans une période où les militants ouvriers étaient criminalisés, virés de leur travail. Nous avons aussi subi le refus des imprimeries de nous produire. Et à chaque fois, nous avons trouvé des solutions et utilisé les attaques du capitalisme comme une force.
La presse vit des moments compliqués avec l’avènement des journaux gratuits, des réseaux sociaux et de la marchandisation de l’information des grands groupes de médias. Quelle est la recette miracle pour continuer de survivre ?
Il est nécessaire de savoir s’adapter à la situation en gardant en tête ce qu’on veut faire avec un média. Nous ne pouvons plus être la source d’information première des gens dû à la grande concurrence proposée. Cependant, nous avons une carte à jouer sur le domaine de l’analyse, puisque l’ensemble de la presse a la même vision, celle du statu quo. Elle ne permet ainsi pas de comprendre les enjeux actuels. Avec Voix Populaire, nous cherchons à répondre à ces questions. De plus, en étant lié au Parti Ouvrier et Populaire, nous mettons en commun notre travail avec une démarche politique. Nous essayons de mettre les gens en mouvement dans la défense de leurs droits. L’analyse du monde et l’actualité ne doivent plus être des éléments passifs, mais nous permettre de mieux comprendre le monde pour le changer. Notre publication a un rôle important dans la mobilisation et la formation de militants.
Le 11 octobre de l’année dernière, Instagram a supprimé le compte de Voix populaire au prétexte qu’il ne respectait pas les Règles de la communauté. Une décision définitive qui exclut tout recours. Est-ce que la liberté d’opinion est en danger ?
J’ai justement écrit un article dans le Voix Populaire d’octobre où je revenais sur cette histoire. La démocratie est un sujet complexe qui ne peut se résumer à quelques votations ou élections. Il existe aussi tout l’enjeu de la bataille des idées et de la formation des opinions de chacun. Et dans ce domaine, les médias et les réseaux sociaux jouent un grand rôle. Pour les médias, il est assez facile de comprendre leur influence puisqu’ils ont une ligne éditoriale, et donc une certaine manière de traiter l’information. Pour les réseaux sociaux, cela est beaucoup plus invisible, puisqu’on a l’impression que ce sont les gens qui font la plateforme. Ainsi, si nous voyons plus un certain contenu qu’un autre, ce serait dû à la préférence des gens. Mais cette vision est simpliste. Les réseaux sociaux doivent utiliser des algorithmes pour trier le trop-plein de posts, et ceci est fait par les entreprises de la tech sans qu’on n’en sache le fonctionnement. Ils nous affirment qu’ils le font de manière neutre, mais cela ne signifie pas grand-chose. Nous pouvons douter de leur honnêteté par le simple fait que leur seul objectif est de maximiser le profit. Nous ne pouvons pas laisser une autoréglementation des réseaux sociaux, car c’est un élément trop important de notre démocratie. Et nous voyons déjà des dérives avec par exemple la suppression de notre compte en dehors de toute loi. La liberté d’expression est donc bien en danger avec le manque de loi autour des réseaux sociaux, et cela risque d’empirer selon les besoins de ces entreprises.
Est-ce que le soutien au peuple palestinien et la critique du traitement médiatique pourraient expliquer cette suppression arbitraire ?
J’avais écrit cela de manière un peu provocante dans mon article. Comme aucune raison n’a été donnée, nous ne pouvons exclure que ce soit un des motifs. Je ne pense pas que dans notre cas, ce soit directement la cause, notre compte a été supprimé par le robot d’Instagram. Mais notre ligne éditoriale peut être un facteur indirect, par exemple si des opposants d’extrême droite nous ont signalé sans raison. Je voulais surtout alarmer de l’opacité de ces plateformes et de leur influence dans le débat public. Comment jugez-vous qu’une multinationale américaine puisse décider de ce qui est moral ou non ? C’est problématique car non seulement cela n’est pas choisi démocratiquement, mais surtout que ce ne sera jamais fait dans l’intérêt de la population. Instagram prend ces décisions dans son propre intérêt, donc dans ceux de ses propriétaires. Avec l’élection de Trump, la question de l’influence de X, anciennement twitter, a été posée. Ce débat ne doit pas s’arrêter là et doit être étendu à l’ensemble des réseaux sociaux.