Contexte politique :
Durant la session de mai 2024 du conseil national, un élu de l’Union démocratique du centre (UDC) valaisan, Michael Graber, dépose une motion devant le parlement. Celle-ci enjoint le Conseil fédéral à dénoncer l’adhésion de la Suisse à la CEDH, en réaction à l’arrêt des « aînées du climat » » rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), condamnant la Suisse en raison de sa politique climatique insuffisante. Si l’arrêt est pertinent concernant les choix pris par la Confédération au regard des accords internationaux qu’elle avait passés, c’est bien la réaction de l’UDC qui, tout en cristallisant sa position vis-à-vis des instances judiciaires internationales, doit être mise en lumière.
Depuis son entrée en vigueur pour l’Etat helvète en 1974, la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) a contribué à garantir le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes présentes sur le territoire suisse. Cette convention et ses protocoles contiennent une série de droits fondamentaux qui sont directement applicables par nos tribunaux suisses. La CourEDH juge en instance de recours des tribunaux nationaux. Elle traite des cas de violation de ces droits en tant que tribunal neutre, international, qui donc se porte garant du maintien de la démocratie et l’état de droit en Europe.
Notons que l’adhésion à ladite convention est obligatoire pour les membres du Conseil de l’Europe. La dénoncer nous ferait automatiquement expulser de cette organisation, ce qui jetterait un certain ridicule sur la Suisse dite « internationale », et restreindrait beaucoup son attrait diplomatique. Nous rejoindrions la Russie de Vladimir Poutine, autre pays expulsé du Conseil.
Application de la CEDH en Suisse : une nécessité ?
Si beaucoup pensent que la Constitution fédérale nous octroie une protection suffisante, la Suisse est un cas à part en Europe, avec une justice constitutionnelle pour le moins originale.
Pour commencer, une constitution étatique a pour fonction principale d’organiser l’Etat (et ses institutions), mais aussi de définir ses valeurs, les droits fondamentaux inaliénables de ses citoyens. En clair, c’est la marge de manœuvre dans laquelle l’administration fédérale va pouvoir s’organiser, qui instituera des mécaniques de contre-pouvoirs, qui garantira des droits fondamentaux pour ses citoyens. Cette protection est absolument nécessaire pour protéger les justiciables d’une assemblée législative (qui édicte les lois en vigueur dans le pays) toute puissante, qui pourrait de façon arbitraire créer des lois discriminatoires, violentes. L’Etat plongerait dans une dérive utilitariste où les intérêts majoritaires représentés au gouvernement pourraient exploiter sans limite les groupes sociaux minoritaires, discriminés ou tout simplement moins représentés vis-à-vis des classes dirigeantes au pouvoir.
Lorsque le pouvoir législatif ou exécutif se retrouve tout puissant, même s’il est démocratiquement élu, il fait plonger par définition le pays dans un régime a minima autoritaire, propice aux dérives fascistes. Car oui, contrairement à la conception populaire, une démocratie ne se caractérise pas seulement par son mode d’élection. Il faut également une égalité devant la loi et un respect des droits fondamentaux, pour former un état de droit. Et c’est bien là le problème !
En Suisse, l’article 190 de la constitution exprime ce principe : « Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international ». Les juges fédéraux, face à une loi anticonstitutionnelle (par hypothèse, contraire à des droits fondamentaux), sont tenus de l’appliquer (tout en essayant d’interpréter la loi le plus conformément possible à la constitution). Rappelons d’ailleurs que les juges fédéraux sont nommés par le pouvoir législatif, ils dépendent donc des forces politiques en présence.
En somme, si l’Assemblée fédérale décide consciemment d’adopter une norme enfreignant directement et sans ambigüité la constitution, les tribunaux seront tenus de l’appliquer. Cette protection s’étend même au gouvernement, qui lui aussi adopte des ordonnances, un instrument législatif qui a un pouvoir tout aussi contraignant que des lois. Ceci est d’autant plus inquiétant car les ordonnances du Conseil fédéral ne sont soumises à aucun contrôle démocratique, échappant au référendum, qui permet au peuple de s’exprimer sur les lois de l’Assemblées fédérales.
La CourEDH : un garde-fou nécessaire
La bonne application des droits fondamentaux dépend donc de juges visiblement liés par la composition du pouvoir législatif (de majorité conservative bourgeoise), qui sont contraints d’appliquer des lois ou des ordonnances découlant du même pouvoir ou d’un pouvoir dérivé. Sans CEDH, sans CourEDH, l’Assemblée et le Conseil fédéral disposent d’une marge de manœuvre colossale, autoritaire. On ne peut qu’imaginer les conséquences sur toutes les cibles de l’extrême-droite bourgeoise, les travailleurs prolétaires, les étrangers, les citoyens d’autres confessions, tous se verraient soumis à des lois qui pourraient atteindre directement leurs droits fondamentaux.
Sans la CourEDH, l’extrême-droite ferait un pas de plus vers son idéal fasciste et autoritaire, où l’Etat serait au service d’idées discriminantes et anti-démocratiques.
Luttons contre la politique nationaliste de l’UDC, défendons nos droits fondamentaux !
Rémy Mottier