Impossible d’y avoir échappé à moins de vivre dans une grotte. Ces derniers jours des mobilisations ont émergé un peu partout en Europe suite à l’arrestation totalement illégale des flottilles pour la liberté à quelques km de Gaza. Ils étaient deux millions en Italie à rejoindre le mouvement de grève générale lancé par les syndicats. Blocage de gare, d’autoroute, d’aéroport, de port et d’entreprises complices du génocide à Gaza. Ailleurs en Europe, les foules étaient également massives. En Suisse de nombreuses villes ont été le théâtre de mouvement de protestation suite à l’arrestation illégale de flottille. Sion en faisait partie puisque le jeudi 2 octobre, plus de 200 personnes ont marché à travers la ville pour s’opposer à cette entrave à l’aide humanitaire et également pour dénoncer les crimes de l’occupant israélien. Si le nombre d’activistes présents sur les bateaux de la Waves of Freedom Switzerland étaient aux alentours de 400 provenant de plus de 40 pays, ils étaient également nombreux à avoir rejoint différentes villes portuaires afin d’entamer la formation pour embarquer direction Gaza. Pour différentes raisons, tout le monde n’a pas pris le large. Parmi ces personnes ayant participé aux prémices du grand voyage se trouvait Barbera Lanthemann, ancienne rédactrice en cheffe du Peuple.VS et du PSVr, syndicaliste et militante. De retour en Suisse, elle nous a raconté l’expérience de ces semaines riches en solidarité.
Mi-août, le Valais ronronne doucement avant la reprise. Je vaque à mes occupations de secrétaire syndicale, je rencontre des membres et prépare les actions à mettre en œuvre dès cet automne.
Une information à la radio attire mon attention. WOFA, Waves of Freedom Switzerland lance un appel à volontaires pour rejoindre la flottille de la Global SUMUD qui doit se rendre à Gaza en septembre. Il s’agit de briser le blocus illégal mis en place par le gouvernement colonialiste israélien en territoire palestinien.
En 2025, le docteur Hicham El Ghaoui a fondé WOFA, une organisation citoyenne engagée dans la défense des droits humains, la solidarité internationale et l’action non violente.
À partir de cet instant, je ne pense plus qu’à ça. Après un temps de mûre réflexion, je m’inscris sur la liste des volontaires. Le processus de sélection est ardu, WOFA met en place un recrutement fondé sur des valeurs essentielles et choisit les particpant-es avec soin et moult conditions. Je fais partie des personnes sélectionnées, à mon plus grand bonheur. Le départ de la flottille est prévu le 4 septembre, fin de mission aux alentours du 26. Je pose un mois de congé sans solde, je prépare mes bagages minimalistes, j’atterris à Catania, en Sicile, le 31 août.
Nous sommes nombreuses et nombreux sur le site à participer aux sessions d’information, de mise en condition et de préparation à la mission. En plus de la délégation suisse de WOFA, d’autres délégations sous pavillon de la Global Sumud flotilla sont présents en Sicile. Tous les aspects sont évoqués.
L’aspect légal et juridique : cette action est parfaitement légale en matière de droit international, le blocus des sionistes ne l’est au contraire absolument pas. Toute arrestation en eaux internationales constitue un crime, nous sommes conscient-es que nous n’échapperons probablement pas à cette option. Le gouvernement israélien se fout du droit, c’est bien connu. Pourquoi épargneraient-ils une cohorte de volontaires en mission humanitaire si jour après jour, ils bombardent, affament et assassinent des milliers de civils en Palestine occupée ?
L’aspect sécuritaire : la mission se fonde sur une valeur essentielle, la non-violence. Ne serait-ce déjà que pour se protéger au mieux des forces d’occupation qui ne manqueraient pas d’user de violence pour un regard appuyé, un mot de trop, un geste brusque. Nous sommes mis en condition d’une arrestation, avec ce que cela comporte en termes de risques, de violence physique et psychologique. L’arrestation sera suivie d’un emprisonnement, d’autres l’ont vécu avant nous. Il faudra tenir le choc, physiquement et moralement. La détention peut durer plusieurs jours.
Le départ de la flottille est reporté plusieurs fois. Plus le temps avance, plus je crains que ma participation à cette aventure humanitaire ne soit compromise. Un premier départ le 11 septembre, auquel je participe, se solde par un retour au port. Je dois dès lors renoncer, je ne serai pas de retour à temps… Je reste à Catania jusqu’au 13 septembre, date à laquelle les bateaux quitteront le port d’Augusta pour se rendre plus au sud de la Sicile. Là, ils attendront les bateaux venant de Tunis. Le 19 septembre, enfin, la flottille lève les voiles pour Gaza. Dans la nuit du 30 septembre et jusque dans la matinée du 1er octobre, les forces israéliennes intercepteront un à un tous les voiliers de la flottille. Après les avoir, en mer, attaqué avec des drones, larguant des bombes assourdissantes, aspergeant les participants avec des produits chimique et piratant les radios pour diffuser du … ABBA pendant une partie de la nuit.
Le retour en Valais est difficile. Suivant les informations au fur et à mesure que la mission progressait, il m’est insupportable de savoir mes camarades en danger, soumis à une pression psychologique et à une violence physique sans limite. Et, surtout, comment comprendre le comportement de nos dirigeants, en Suisse et en Europe, face à ce déferlement de haine en Palestine, où les bombardements redoublent encore d’intensité, où l’aide humanitaire reste encore et toujours bloquée aux frontières, où on assassine le personnel soignant sans la moindre hésitation, au vu et au su du monde entier ?
Les manifestations de soutien au peuple palestinien et à la flottille, en Suisse et ailleurs, agissent comme un baume au cœur. Savoir aujourd’hui certains camarades à nouveau en sécurité me console un peu. À l’heure où j’écris ces lignes, toutefois, certains volontaires se trouvent encore en détention, parmi eux des camarades rencontrés à Catania. Des personnes admirables et tellement attachantes.
Je ressens un torrent de colère en moi, une de plus, comme si l’Etna qui surplombe la ville de Catania m’avait transmis du magma qui crépite jour après jour. J’entends le témoignage d’un participant qui relate le traitement inhumain, et d’une violence inouïe, qui a été infligé à la jeune Greta Thunberg. Ils n’ont décidément aucun respect, aucune limite, aucune morale. Ils reproduisent finalement le comportement des tortionnaires de leurs aïeux, trainant les prisonniers au sol, les tirant par les cheveux, les humiliant et les insultant, les privant d’eau, de toilettes, et j’en passe.
Des volontaires qui s’étaient engagés pour porter secours à des civils. Avec dans les cales des voiliers de la poudre de lait, des pompes à eau et des médicaments.
Je ne sais pas si je leur pardonnerai un jour.
Barbara Lanthemann, octobre 2025