En quelques secondes, un pan du glacier de l’Allalin s’effondre sur le chantier du barrage du Mattmark en construction, engloutissant baraquements et cantine. Bilan : 88 morts.
Majoritairement des ouvriers immigrés italiens, ils étaient venus en Suisse pour aider à bâtir la Suisse moderne. Le procès qui suivra blanchira tous les responsables, mais laissera un goût amer de négligence impunie. Mattmark reste, six décennies plus tard, un symbole de deuil, de solidarité et de la fragilité des vies derrière les grands ouvrages.
Si les conditions des chantiers se sont considérablement améliorées, nous aurions tort de penser que ces drames appartiennent au passé. En Suisse, une personne par mois meurt sur un chantier. L’été dernier, l’effondrement d’un échafaudage sur le chantier « Malley Phare » à Prilly a causé la mort de trois personnes et a fait 11 blessés. Selon les premiers éléments de l’enquête, des négligences pourraient être la cause du drame.
Le sort des saisonniers italiens de l’époque reflète également celui que connaissent encore trop de migrant·es aujourd’hui : offrir leur force de travail, et recevoir en retour de l’indifférence quand ce n’est pas du mépris, malgré leur contribution essentielle à la prospérité du pays. Se souvenir de Mattmark, c’est aussi s’engager pour que ces erreurs ne se répètent jamais. À l’époque, le statut de saisonnier permettait aux entreprises du bâtiment de puiser dans un vaste réservoir de main-d’œuvre bon marché et privée de droits. D’une saison à l’autre, les ouvriers malades, épuisés ou accidentés étaient remplacés sans état d’âme. La santé et la sécurité passaient après la rentabilité. Ce mélange d’ignorance, d’indifférence et de calcul froid a conduit à une tragédie qui, avec plus de considération et de précautions, aurait pu être évitée. Pourtant, aujourd’hui encore, des abus sont signalés. Demain peut-être encore, tant que les plus précarisées vivront bien souvent à la merci d’un patronat sans scrupule ni respect pour la dignité humaine.
La catastrophe du Mattmark résonne également en cette année 2025 qui a vu le village de Blatten rayé de la carte. Si les raisons et les circonstances ne sont pas les mêmes, toutes ces tragédies laissent un sillage de vies fauchées, de biens détruits et de blessures émotionnelles. Ces drames nous apprennent la résilience et que nous ne sommes si petits face aux catastrophes. Respecter les mains qui construisent nos foyers va de pair avec le devoir de préserver la terre qui les porte.
À l’occasion du 60e anniversaire de la catastrophe, l’association Valais/Italie organise plusieurs événements. Le vendredi 29 août, une table ronde consacrée à la thématique « Sécurité et prévention sur les chantiers » avec Christine Michel, experte en santé chez Unia se tiendra au Centre Missione à Naters, suivie de la projection d’un film retraçant six décennies de mémoire de la tragédie. Le lendemain, samedi 30 août, une cérémonie commémorative aura lieu sur le site du drame, au barrage de Mattmark, avec une messe et plusieurs allocutions.
Yoann Bodrito