Mardi 15 avril, la police cantonale a bloqué un tronçon d’autoroute durant 8 heures, pour empêcher le passage d’une quarantaine de caravanes de gens du voyage sur le territoire cantonal. L’événement, exceptionnel, a généré son lot d’articles, débats et opinions. Mais il a surtout mis en évidence la discrimination systématique que subissent ces communautés.
Rappelons tout d’abord qu’entre 1926 et 1973, quelque 2000 enfants Yéniches et Manouches/Sintés ont été enlevés à leurs familles et placés de force dans des homes, orphelinats, cliniques ou familles d’accueil. La Confédération a présenté ses excuses en 1986. En 1997, la Fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisse a été fondée avec des fonds fédéraux. Depuis 1998, la Suisse reconnaît ces communautés comme minorités nationales. En février dernier, la Confédération a qualifié cette page sombre de notre histoire de « crimes contre l’humanité ».
La Fondation dénonce depuis longtemps un manque d’aires de séjour et de transit dans notre pays. En 2016, elle constatait même que leur nombre avait drastiquement baissé depuis 15 ans. Un arrêt du Tribunal fédéral souligne que les cantons ont l’obligation de prévoir un nombre suffisant d’aires afin de permettre aux personnes concernées de mener une vie conforme à leurs traditions.
Un historique qu’il me semble important de garder en tête, avant de proposer, comme le président de la LICRA cantonale, Philippe Nantermod, de déloger à coups de « bulldozer » les gens du voyage.
Revenons aux faits. Ce mardi d’avril, les gens du voyage concernés avaient réservé — et payé — un terrain privé en Haut-Valais. Ce sont des citoyen·nes français, disposant donc du droit fondamental de circuler librement dans l’espace Schengen. Mais la commune de Gampel a décidé de leur refuser l’accès, et la police a exécuté. Résultat : un dispositif de 200 agents pour verrouiller l’autoroute.
Le conseiller d’État Frédéric Favre a vanté une opération « ciblée et efficace ». Avec Aude Rapin, nous avons demandé au Conseil d’État de justifier légalement cette fermeture de l’A9. Le nouveau chef du département, Stéphane Ganzer, a affirmé que ce sont les gens du voyage qui ont bloqué l’autoroute en refusant de partir et que dès lors, la loi sur la circulation routière permettait d’intervenir ainsi. Pourtant, dans Le Nouvelliste du 15 avril, le commandant de la police Christian Varone expliquait que « les faire sortir de l’autoroute pour discuter aurait été un risque trop grand de les voir s’installer illégalement ». À chacun sa version.
Mais le fond du problème est ailleurs. Ces familles avaient un contrat valide. C’est la commune qui, sous la pression, a décidé de bloquer leur venue. Et c’est l’État qui a mobilisé des ressources considérables pour les en empêcher, prétextant un « trouble à l’ordre public »… avant de se féliciter de lutter contre le racisme et l’exclusion avec une ligne ferme et en appliquant la « tolérance zéro ». Un renversement orwellien.
Nul besoin d’être juriste pour comprendre que cette opération repose sur une logique profondément discriminante : on traite ici une communauté entière comme une menace a priori. On leur dénie les droits élémentaires dont bénéficient les autres. On préfère interdire, bloquer, expulser, plutôt que garantir des solutions pérennes et respectueuses.
Il est temps d’en finir avec cette hypocrisie. Le Valais, comme les autres cantons, doit assumer ses obligations. Il doit prévoir suffisamment d’aires d’accueil, respecter le droit de circulation, garantir la dignité des gens du voyage. Et cesser de tolérer qu’on les traite comme des intrus, même quand tout est en règle. Le respect des droits humains ne se négocie pas sur une aire d’autoroute.
Clément Borgeaud, président du PSVR