Face au réchauffement climatique, qui affecte les Alpes plus que beaucoup d’autres régions, il nous a paru essentiel de donner la parole à une personne engagée sur les questions environnementales en montagne. C’est ainsi que Valérie Paumier, de l’ONG Résilience Montagne, a accepté de s’entretenir avec le Peuple.VS.

Quelle est la genèse de Résilience Montagne ? Qu’est-ce qui a motivé la création de cette association ?

J’ai travaillé dans le monde de la finance dans une grande marque horlogère suisse. Puis dans la promotion immobilière en montagne. J’ai vécu une forme de dissonance cognitive avec les problèmes environnementaux. A l’arrivée du Covid, je me suis encore plus documentée et informée sur la décarbonisation et me suis rendue compte qu’il fallait une écologie locale pour avoir ensuite une écologie globale. Comme j’étais active sur LinkedIn, la presse a commencé à me contacter et je me suis dit qu’il fallait créer une association pour parler de ces problématiques.

Votre but est également de « vulgariser » l’information climatique. Quelles sont selon vous les plus grandes idées reçues sur le réchauffement en montagne ?

L’un des objectifs est de comprendre l’origine des problèmes et de s’organiser collectivement pour y répondre. Il s’agit avant tout d’un enjeu politique. Les partis allant du centre de l’échiquier politique à l’extrême droite ne sont pas crédibles face aux enjeux environnementaux. Leur modèle repose presque exclusivement sur la croissance, sur la rentabilité. Or, lorsque nous parlons de réduire la voilure, d’arrêter de construire à tout va, nous ne pouvons pas être sur la même longueur d’onde.

Selon vos observations, à quel horizon les stations de ski actuelles pourraient devenir non viables économiquement et écologiquement ?

En réalité, de nombreuses stations sont fragiles économiquement et misent sur une clientèle aisée pour survivre. Elles mènent donc des campagnes marketing agressives afin de pousser à « consommer » la montagne. C’est ce que l’on appelle une maladaptation : au lieu de changer de cap, on renforce un modèle insoutenable. Le rachat de Crans-Montana par l’américaine Vail Resorts en est l’exemple parfait : la montagne est réduite à un produit de rentabilité financière, au prix d’une carbonisation accrue et d’une perte de contrôle local.

Certaines stations investissent encore massivement dans l’enneigement artificiel et en sont parfois totalement dépendantes. Est-ce un moyen de survivre ou un entêtement à vouloir continuer des activités qui sont vouées à disparaitre à moyen terme en montagne ?

C’est aussi une forme de maladaptation : on s’entête à maintenir le modèle actuel, en occultant les effets directs de la captation d’eau potable pour alimenter des zones artificielles de neige de culture. On parle peu du fait que l’on « skie sur de l’eau potable » dans un contexte de raréfaction des ressources, ni des impacts sur la faune et la flore. Il s’agit pourtant de hiérarchiser les priorités. En Italie, près de 90 % des pistes sont déjà enneigées artificiellement. Sans coopération internationale et législation commune, chaque pays continue sa course à la compétitivité — comme on l’a vu pendant le Covid, lorsque la fermeture des stations françaises a profité à la Suisse. Tant que cette logique de surenchère persiste, changer de modèle restera illusoire.

Concrètement, comment organiser une planification d’une montagne quasiment « sans ski » ?

Il faudrait cesser d’alimenter le problème par un développement touristique permanent et faire avec ce que l’on a. Certaines stations misent désormais sur une clientèle lointaine, ce qui aggrave encore la situation. Le rachat de Crans-Montana par Vail Resorts que j’évoquais avant illustre bien cette logique : attirer des client·es fortunés américains ne résoudra rien, au contraire.

Une question reste pourtant absente : où sont les agriculteurs ? Certaines zones agricoles sont directement touchées par l’extension des domaines skiables, mais leur voix est rarement entendue. L’enjeu serait de réunir autour d’une même table tous les acteurs de la montagne. Les stations, les agriculteurs, les habitants, les politiques, les exploitants hydroélectriques etc. avec un médiateur neutre. Car chacun redoute les effets du changement climatique, et il est illusoire d’attendre des montagnards qu’ils renoncent au tourisme sans qu’on leur propose d’alternative.

Lors des débats sur les enjeux autour du tourisme en montagne, on nous parle du tourisme 4 saisons et notamment du développement du tourisme l’été avec le VTT par exemple. Est-ce vraiment une solution ?

Rien ne remplacera l’économie du ski. Au final, le modèle est le même, il faut de la rentabilité donc une offre toujours plus conséquente avec un développement des infrastructures.  On dit parfois qu’en montagne il existe deux saisons : la saison du ski sans neige et celle des chantiers. Dès l’arrivée de l’été, les pelles mécaniques, des hélicoptères et autres machines envahissent la montagne pour remodeler les pistes ou juste pour construire de nouvelles infrastructures. L’été demeure beaucoup moins attractif que l’hiver.

Comment convaincre les protagonistes de la montagne d’un changement nécessaire ?

Il faut cesser la fuite en avant des investissements. À Zermatt, on construit encore des hôtels où l’on peut entrer skis aux pieds, enfermant le modèle dans une logique de rentabilité pour les 30 ou 40 prochaines années. Plutôt que d’alimenter cette course sans fin, l’argent devrait servir à rénover les bâtiments devenus de véritables passoires thermiques. Il faut également repenser la vie en montagne : certains villages comptent plus de 80 % de résidences secondaires. L’enjeu n’est plus l’attractivité, mais l’habitabilité.

Faut-il revoir totalement notre rapport culturel à la montagne : passer d’un espace de consommation à un espace de sobriété et de reconnexion ?

Absolument. L’exemple du Covid en France l’a montré : malgré la fermeture des remontées mécaniques, les stations étaient pleines. Entre balades, raquettes ou ski de randonnée, beaucoup ont redécouvert la montagne autrement. Les stations fonctionnaient alors comme de vrais villages, et non plus seulement comme des usines à ski. Peut-être faudrait-il repenser les « classes de neige » en véritables classes de découverte, sensibilisant les enfants aux enjeux de la montagne. Il y a un immense travail pédagogique à mener : expliquer, par exemple, que certains lacs sont en réalité des bassins de captage d’eau potable utilisés pour enneiger artificiellement les pistes. Les Alpes, longtemps vues comme le réservoir d’eau de l’Europe, rappellent à quel point nos ressources sont exploitées à l’heure où le réchauffement climatique s’aggrave chaque année.

Les JO d’hiver 2030 sont présentés comme une vitrine pour les Alpes françaises, mais vous parlez plutôt d’un modèle économique en sursis. Est-ce une fuite en avant ?

L’ironie des JO, c’est que le CIO, installé en Suisse, impose ses décisions aux pays hôtes. Il peut passer outre leurs lois pour atteindre ses objectifs, sans réel recours possible ni véritable possibilité de contester les projets liés à la compétition. La France, contrairement à la Suède ou la Suisse, accepte sans problème la garantie d’état en cas de pertes financières. Avec 3000 milliards de dettes, on peut bien rajouter de la dette, non ? D’autant plus que les JO seront déficitaires, à hauteur d’un milliard, peut-être même plus. On s’éloigne quand même beaucoup de l’esprit de base des JO.

Ce qui agace aussi, c’est qu’après Cortina l’an prochain, la Suisse pourrait accueillir les JO en 2034. Autrement dit, dans un même territoire, on va multiplier des infrastructures vouées à rester inutilisées. Une étude publiée il y a deux ans estimait qu’en 2100, seule Sapporo, au Japon, serait encore en mesure d’accueillir les Jeux d’hiver. Si l’on veut réellement poursuivre cette compétition, il faudrait envisager une solution durable : un site unique et permanent, à condition de ne pas en faire un nouvel eldorado du tourisme de masse. Mais une telle idée n’a que peu de chances de séduire les grandes marques, qui misent sur ces événements pour écouler leurs produits.

Vous citez l’exemple de Métabief dans le Jura comme pionnier d’une sortie progressive du ski. Est-ce un modèle réplicable ailleurs et à grande échelle ?

Là-bas, tous les acteurs se sont réunis pour réfléchir à l’avenir de la station et ont décidé d’abandonner totalement le ski alpin d’ici 2030-2035. Ils ont également choisi de ne plus investir dans le renouvellement des remontées mécaniques. Metabief dispose sans doute de moins de moyens et d’intérêts que d’autres stations, mais elle prouve que c’est possible et offre une méthode inspirante et duplicable.

Finalement, est-ce que le salut viendra des institutions, des habitants, ou de collectifs comme le vôtre qui font pression ?

De tout le monde. Les associations évidemment ont un rôle à jouer, mais tant que les politiques resteront obsédés par la croissance, aucune véritable transition ne sera possible. Mais j’ai peur qu’il soit peut-être trop tard et que nous devions nous adapter de manière subie. Avec une extrême droite aux portes du pouvoir dans de nombreux pays, il est difficile d’y voir des lueurs positives. En France, les élections municipales auront lieu en 2026 et elles seront un véritable enjeu pour certaines villes et villages.

Le canton du Valais a été considérablement touché par les catastrophes liées au climat ces dernières années. Nous sommes donc aux premières loges de la multiplication des évènements climatiques dont les experts alertent depuis des décennies. Et pourtant, aux yeux de certains politiques ainsi qu’une partie de la population l’écologie a une connotation péjorative. Y-a-t ’il une méthode « miracle » pour que l’écologie soit prise au sérieux ?

Certaines politiques préfèrent minimiser le rôle du réchauffement climatique, en prétendant que « les montagnes ont toujours bougé » et que tout cela relève de la fatalité. C’est une stratégie électoraliste : maintenir le déni pour préserver la croissance. Mais les faits sont là : certaines zones de montagne deviendront bientôt inassurables et l’habitabilité même de ces territoires sera remise en cause. Le phénomène touche déjà d’autres régions, comme en Normandie où certaines zones côtières ne trouvent plus d’assurance. Sans courage politique pour affronter ces réalités, le déni climatique nous conduira droit dans le mur.

Propos recueillis par la rédaction.

Le PeupleVS 2025